L’hétérogénéité des cancers => développement d’une nouvelle modalité thérapeutique

Une tumeur cancéreuse est constituée de cellules qui, suite à de nombreuses altérations du code génétique (= mutations), prolifèrent, envahissent le tissu avoisinant et mettent des métastases dans des organes vitaux en entraînant le décès.

La maladie du cancer est caractérisée par une évolution dynamique. Au cours de cette évolution, les cellules cancéreuses au départ clonales, c’est à dire identiques, deviennent généralement plus hétérogènes. En raison de cette hétérogénéité, la tumeur inclut en elle une collection diversifiée de cellules présentant des signatures génétiques semblables, mais plus totalement identiques. Ceci explique la sensibilité variable de la tumeur face aux traitements. L’hétérogénéité entraîne une distribution non uniforme de sous-populations de cellules tumorales génétiquement distinctes, touchant toutes les manifestations tumorales (tumeur primaire et métastases, hétérogénéité spatiale). Cette variation est également temporelle et peut se développer rapidement (hétérogénéité temporelle).

Cette capacité d'hétérogénéité cellulaire permet d’expliquer la résistance face aux thérapies ciblées et personnalisées. Par conséquent, une évaluation précise de l'hétérogénéité des tumeurs est essentielle au développement de traitements efficaces. Le séquençage multirégional (hétérogénéité spatiale), le séquençage unicellulaire, l'analyse d'échantillons d'autopsie et l'analyse longitudinale (hétérogénéité temporelle) sont autant de technologies émergentes qui offrent un potentiel considérable pour disséquer l'architecture clonale complexe des cancers. Grâce à ces développements diagnostiques, nous comprenons pourquoi des thérapies ciblées ayant pour objectif d’éliminer les cellules cancéreuses portant une mutation spécifique (par exemple du gène EGFR dans le cancer du poumon) ne sont pas curatives. Le patient souffrira d’une rechute avec progression de cellules cancéreuses, d’un autre sous-clone résistant à la thérapie. C’est la raison pour laquelle la majorité des cancers ne sont pas curables avec des médicaments.

Ceci force le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques ne ciblant plus directement la cellule cancéreuse, capable de s’adapter par l’hétérogénéité cellulaire, mais par exemple en visant de manière indirecte l’apport nutritionnel par les capillaires ou en stimulant les forces de défense, notre propre immunité. Il y a plus de 15 ans, les firmes pharmaceutiques ont développé des anticorps freinant le bourgeonnement de nouveaux vaisseaux sanguins. Les résultats ont été positifs avec une faible activité sur la tumeur. Les chercheurs ont rapidement réalisé que la tumeur avait d’autres moyens pour stimuler les capillaires, rendant les thérapies anti-angiogéniques inefficaces. C’est le développement de l’immunothérapie qui a permis une nouvelle percée et l’enrichissement de l’armement anti-cancéreux.

Il a été démontré depuis de nombreuses années que le système immunitaire joue un rôle majeur dans le développement et le contrôle néoplasique, puisque les patients immunodéprimés présentent un risque plus élevé de cancer et que la rémission spontanée de nombreux types de tumeurs malignes est un phénomène rare mais bien connu, survenant dans environ 1 cas de cancer sur 60 000 à 100 000.

Les bases scientifiques permettant des tentatives de modulation du système immunitaire pour traiter le cancer trouvent leurs racines dans la seconde moitié du 18ème siècle. Il y a plus de 135 ans, les médecins allemands Busch et Fehleisen ont constaté une fonte tumorale chez des patients cancéreux suite à des infections accidentelles (par exemple infection de la peau tel qu’érysipèle). En 1868, Busch a été le premier à infecter intentionnellement un patient cancéreux avec des bactéries provoquant un érysipèle. L ‘évolution a été favorable avec une fonte tumorale. Fehleisen a répété ce traitement en 1882 et a finalement identifié Streptococcus pyogenes comme étant l’agent responsable de l'érysipèle. En 1891, un chirurgien américain, William Coley, du Bone Tumor Service du Memorial Hospital de New York, a également observé une régression à long terme d'un sarcome après un érysipèle. Dans un essai clinique, il a injecté des bactéries thermo-inactivées ("toxines de Coley") à des patients atteints de cancers inopérables. Il a pu démontrer une fonte tumorale chez plus de 1000 patients, mais également une forte toxicité (septicémie). Les développements de la radiothérapie et de la chimiothérapie ont ensuite remplacé les toxines de Coley, thérapies tout de même associées à de nombreux effets secondaires.

La découverte des mécanismes immunitaires dirigés contre le cancer a permis de développer de nouvelles stratégies. Afin de s'assurer qu'une réponse immunitaire inflammatoire ne soit pas constamment activée une fois que des antigènes étrangers ou tumoraux ont stimulé une réponse, l’organisme a mis en place de multiples contrôles ou « checkpoints ». Ces checkpoints sont principalement représentés par des récepteurs des lymphocytes T (une sorte de globule blanc) qui se lient aux cellules du microenvironnement, formant des synapses immunologiques régulant ensuite les fonctions des lymphocytes T, qui deviennent spécialisés ou "polarisés" pour se diriger contre les cellules cancéreuses. Différentes interactions de récepteurs localisés sur d’autres lymphocytes (cellules dentritiques par exemple) ou même sur les cellules cancéreuses (PD-1) ont des actions activatrices ou inhibitrices du système immunitaire sur le cancer. C’est cette dernière interaction (lymphocyte T avec le récepteur PD-L1 se liant au récepteur PD-1 de la cellule cancéreuse) qui freine le système immunitaire et protège ainsi la cellule cancéreuse.

Les firmes pharmaceutiques ont développé des anticorps qui évitent cette interaction PD-L1 – PD-1. Citons nivolumab, pembrolizumab, acétolizumab, avelumab, durvalumab et d’autres, qui sont aujourd’hui lancés sur le marché, permettant une régression tumorale et un allongement de la survie. Le patient bénéficie d’une excellente qualité de vie, la tumeur est sous contrôle mais n’est pas éliminée.

Le centre de recherche d’oncologie de l’hôpital fribourgeois a eu la chance de pouvoir participer à un essai clinique international administrant l’anticorps Pembrolizumab en 1ère ligne chez des patients souffrant d’un cancer du poumon à un stade métastatique.

Ces résultats, ainsi que ceux d’autres essais, ont permis de modifier le traitement standard du cancer du poumon. Tous les patients ayant un cancer du poumon en stade métastatique bénéficient de nos jours d’une immunothérapie avec ou sans chimiothérapie avec une forte amélioration de leur qualité de vie et prolongement de leur survie. Ce progrès n’a été possible que grâce au soutien de la recherche clinique à Fribourg et dans les milliers d’autres centres du monde.